Tems et Raye, têtes d’affiche de Lollapalooza Paris 2025, incarnent deux voies radicales vers l’indépendance artistique et le pouvoir féminin dans l’industrie musicale. L’occasion de croiser leurs trajectoires, aussi singulières que complémentaires.
Le tournant de la fin des années 2010
Raye, née à Londres en 1997, se fait d’abord un nom à l’ombre des projecteurs. Collaboratrice de renom, elle écrit pour les plus grandes – de Beyoncé à Charli XCX – tout en peinant à imposer sa propre voix auprès de sa maison de disque. En 2021, elle claque la porte de son label, fatiguée d’attendre la sortie d’un premier album constamment repoussé. Cette rupture marque le début de sa renaissance artistique.
Tems, née en 1995 à Lagos, suit une voie tout aussi singulière. D’abord ingénieure du son autodidacte, elle sort en 2020 son premier EP For Broken Ears, un projet brut et introspectif qui capte rapidement l’attention au-delà des frontières nigérianes. Sa voix unique, vibrante et profonde, séduit notamment Wizkid, avec qui elle collabore sur le tube planétaire Essence – le début d’un envol international.
Une ascension en marge des circuits classiques
En 2023, Raye sort enfin son premier album, My 21st Century Blues, en totale indépendance. C’est un triomphe. Salué par la critique, le disque est au croisement des styles R’n’B, jazz, soul et pop. En 2024, elle domine les Brit Awards avec six trophées, avant de s’imposer aux Grammy Awards avec trois nouvelles distinctions. À chaque cérémonie, elle est sacrée Artiste de l’année, symbole d’une revanche éclatante sur l’industrie. Cette même année, elle dévoile une version symphonique de son album : énième succès critique. Elle a récemment collaboré avec Mark Ronson sur le morceau Suzanne, que le producteur qualifie comme « l’une de ses plus belles réussites si ce n’est la plus belle ».



Tems, quant à elle, poursuit son ascension discrète mais fulgurante. Sa voix s’invite sur les projets de Drake, Future, Rihanna (Lift Me Up, pour Black Panther: Wakanda Forever), tout en gardant intacte son esthétique introspective, nourrie par le R’n’B, l’alté (genre hybride nigérian), et la soul. En juin 2024, elle sort enfin son premier album très attendu, Born in the Wild, où elle partage des récits intimes et sa quête d’élévation spirituelle. Ce disque, acclamé dès sa sortie, confirme sa place parmi les artistes les plus singulières de la scène internationale.


À mesure que leur musique rayonne, Raye et Tems imposent aussi leur vision de la mode. Raye incarne une sensualité sophistiquée et glamour. Robes fourreau, décolletés profonds, corsets satinés : elle cultive une image de diva rétro qui renoue avec les icônes jazz et soul du XXe siècle. Elle a récemment collaboré avec Audemars Piguet, référence de l’horlogerie de luxe, et fait appel à Jacquemus pour des créations sur mesure.
Tems, de son côté, n’a pas peur de jouer avec les textures et les coupes : dentelle turquoise, détails de plumes et jeux de transparence. Elle représente une féminité moderne et magnétique. Elle signe une collaboration avec Omega, autre maison horlogère prestigieuse, et était l’une des invitées phares du défilé Louis Vuitton l’an dernier — preuve que la scène mode, comme la musique, la considère désormais comme une figure incontournable.
Icônes d’une nouvelle génération
Leurs chemins sont différents, mais leurs combats résonnent : toutes deux ont choisi l’indépendance comme levier de création, sans faire de compromis sur leur intégrité artistique. Raye, après des années d’invisibilisation, a repris le contrôle total de sa musique. Tems, depuis Lagos, a prouvé qu’il n’était plus nécessaire de passer par les circuits classiques occidentaux pour jouir d’une reconnaissance internationale. Leur réussite n’est pas un miracle : c’est une course de longue haleine.


Au-delà de leur musique, elles incarnent une nouvelle génération d’artistes féminines qui redéfinissent les règles du pouvoir dans l’industrie. Authentiques, engagées et résolument libres, elles parlent de santé mentale, de blessures intimes, de résilience, sans filtre ni artifice.
En juillet 2025, leur présence en tête d’affiche de Lollapalooza à Paris marque un moment symbolique. C’est la reconnaissance, non seulement de deux carrières remarquables, mais aussi d’un changement plus large : celui d’une industrie qui, lentement, commence à se tourner vers des voix longtemps tenues à l’écart. Deux artistes, deux continents, une même lumière.
Article de Julie Boone.