Calixte Bernard, illustratrice à l’univers hyper-coloré, capture le quotidien avec une précision épatante. Née à Créteil d’un père français et d’une mère camerounaise, elle porte un regard tout à fait singulier sur la ville, sa périphérie, les gens et les détails (pas si insignifiants) du quotidien. Du Val-de-Marne à ses premières expositions à Paris jusqu’à sa (très) récente bande-dessinée Bamby, ses œuvres mettent en lumière des figures souvent invisibilisées, des scènes de vie familières ainsi qu’une avalanche de logos qu’on s’amuse à redécouvrir.
Je l’ai retrouvée un jeudi matin dans un café de Belleville, le quartier qui a accueilli sa toute première exposition de peintures en 2022 pour parler de son travail et de la très récente campagne New Balance | Courir – 471, dont elle fait partie. Une rencontre qui rime avec mode, street culture et représentation.
Ton premier accrochage a eu lieu au Floréal, à Belleville, en mai 2022. Aujourd’hui on se retrouve pour cet interview dans le même quartier.
J’adore Belleville, j’ai eu un coup de cœur depuis que j’ai emménagé ici il y a quelques années. Je retrouve une vie de quartier. Ça faisait complètement sens de faire une exposition ici. Elle portait sur les commerces de proximité. C’est un sujet qui me fascine. Je trouve qu’un commerce de quartier reflète énormément ses habitants. Ce que j’aime à Belleville, c’est la diversité des cultures. Ce quartier reflète assez bien l’endroit où j’ai grandi à Créteil. Comme ici, les cultures s’y croisaient, se rencontraient. Chacun apprenait de l’autre. Quand on était petits, il n’y avait aucun sujet. On mangeait chez les uns et les autres. On découvrait d’autres cultures, d’autres religions aussi. Sans conflit, dans une volonté d’apprentissage.
Tu es née à Créteil et tu es d’origine franco-camerounaise. Comment ce double ancrage influence ton travail artistique ?
Mon père est né en France, ma mère au Cameroun. Ça m’a apporté une certaine richesse. Mon regard sur l’Autre s’est éduqué aussi. Si tu cultives et que tu entretiens ton héritage, ton bagage ne bouge pas, tu le transmets.
Tu peins beaucoup de scènes de vie, du quotidien — des personnages qu’on pourrait croiser dans la rue. Pourquoi mettre en lumière ces figures ?


C’est un peu comme vouloir mettre en avant des scènes de vie et des situations qui peuvent paraitre assez banales. Pour moi, ce sont tous ces petits détails qui créent des souvenirs, qui nous rendent même nostalgiques. C’est aussi une façon de les honorer. Idem pour les personnes que je représente, ils ne sont pas forcément mis en lumière dans la société. Je dirais que j’en fais des héros.
Tu donnes une place centrale à des figures souvent invisibilisées — femmes noires, classes populaires, banlieues.
C’est très normal pour moi de le faire. Certainement de par mes origines, mon histoire. Je le fais pour honorer et pour rétablir ma vérité. Ce qui m’intéresse c’est de raconter les choses telles qu’elles sont. Je ne veux pas tomber dans le fantasme.
Dans Miss Créteil Soleil, on voit une femme revenir des courses, pack d’eau Cristalline sur la tête, habillée d’un top Gucci. Qui est-elle pour toi ?
Je l’ai réalisée pour l’exposition au Floréal Belleville en 2022. J’ai d’ailleurs récemment réactivé le personnage du tableau dans une illustration de l’article de Rania Daki « Bien sûr que l’écologie est aussi l’affaire des quartiers populaires » pour le média Reporterre.
Autre actualité, tu viens de sortir ta première bande-dessinée « Bamby » aux éditions Tumulte.
Bamby c’est un avant tout un récit de séparation : elle quitte sa famille, son pays d’origine pour s’intégrer dans un autre pays avec une culture différente. C’est aussi une histoire d’intégration, d’amour aussi. On la suit dans différentes aventures.
« J’ai l’idée depuis six ans mais c’est il y a peu que je me suis concentrée dessus. C’est l’histoire d’une jeune femme née au Cameroun qui rejoint la France, et plus précisément Créteil ».
Tes couleurs sont éclatantes, très vives… Quels artistes t’ont particulièrement influencée ?
L’artiste Chéri Samba. J’ai découvert son travail assez tard. Beaucoup de personnes m’en parlaient. Quand j’ai vu son exposition, je me suis dit quel honneur ! J’aime beaucoup son rapport texte-image. Il s’est mis à écrire sur ses toiles car il avait remarqué que les gens s’attardaient plus sur son travail quand il y avait du texte. J’aime beaucoup Moke Fils qui est un peintre congolais. Ses couleurs sont dingues. L’artiste Faith Ringgold également. Elle travaille sur des tentures, des tapisseries. Et celui que je cite à chaque fois : David Hockney.

Avec mon père on faisait pas mal d’expositions. À la maison il y avait beaucoup d’images, notamment dans les toilettes. Ça m’a marqué. Quand tu es enfant, tu finis par connaître par coeur l’illustration qui s’y trouve. C’est aussi un plaisir que j’ai quand je crée une illustration : faire plein de détails que tu découvres et re-découvres. J’ai aucun mal à me dire que des personnes vont mettre mes illustrations dans leurs toilettes.
Tu travailles à l’acrylique. Qu’est-ce que ce médium t’apporte dans ta manière de peindre ?
Je travaille beaucoup avec l’acrylique car il y a une forme de rapidité. C’est un séchage express. Tu fais ta couche, ça sèche. Avant de me mettre à peindre, je passe du temps à réfléchir mais une fois lancée, je m’exécute assez vite.
Tes œuvres sont pleines de détails familiers : sac Carrefour, logo Gucci, des enseignes de l’agro-alimentaire… Quel rôle jouent ces marques dans ton travail ?
J’ai une fascination pour les logos. C’est le genre de détails que je remarque. J’ai toujours été intéressée par la sur-consommation. Je pense que c’est une forme d’auto-critique. Il y a aussi une portée esthétique, les logos sont souvent très colorés.
« Ça existait déjà dans la cour de récréation. Au collège c’était mal vu de porter du faux. C’est drôle de voir qu’aujourd’hui il peut même être à la mode. »
La campagne met en lumière plusieurs femmes artistes aux univers très différents. Qu’est-ce que ça te fait de faire partie de ce cercle ? Tu sens un lien entre vous ?
C’est un honneur de rencontrer ces femmes qui sont très inspirantes. Me retrouver à leurs côtés, c’est beau. C’est dingue de voir nos différences et nos points communs dans nos professions. Et ça me fait sourire d’être représentée par une marque que je pouvais dessiner plus jeune dans mes illustrations.
Qu’est-ce que ça représente pour toi d’être une artiste ?


Je pense qu’il faut du courage pour se lever un matin et se dire qu’on va essayer de vivre de nos passions. Après ça ne veut pas dire qu’avoir un emploi dit alimentaire c’est un échec, au contraire c’est une sécurité. Les métiers qu’on fait sont très risqués car assez instables. À titre personnel, quand j’ai laissé mon job alimentaire, j’ai eu le sentiment de me jeter dans le vide.
« Travailler avec d’autres femmes, ça encourage. Tu te sens plus soutenue, moins seule ».
Quand tu peins, comment aimes-tu t’habiller ?

Parfois, quand je suis prise dans une certaine idée, je commence à peindre en habits de tous les jours. J’ai abîmé un tas de vêtements comme ça. Maintenant, j’ai une tenue que je laisse dans la pièce qui me sert d’atelier. J’aime bien bosser en jeans ou en survêtement. Le jeans c’est pratique car ça devient un peu mon torchon.
Tes scènes de vie sont très ancrées dans le réel, dans la rue, dans la ville. Est-ce que tu vois un parallèle avec l’ADN de New Balance ?
Oui il y a un lien. Comme j’aime représenter les gens, j’aime bien pousser le détail jusqu’à leur paire de chaussures. Au début, on me mettait souvent dans cette catégorie d’artiste « streetwear » parce qu’on peut retrouver un côté mode dans mon travail puisqu’il représente ce qu’on consomme, ce qu’on porte.
Que peut-on te souhaiter pour l’avenir ? Où te projettes-tu ?
Peut-être une appréciation de ma bande-dessinée Bamby, à la hauteur du plaisir que j’ai pris en la faisant.
« Puis, de continuer de rêver, d’être animée par le dessin et d’écrire d’autres histoires, voire de créer des films d’animation. Le tout en étant ensemble. Car ce sont les retours et la force autour de moi qui me poussent ».
Propos recueillis par Julie Boone.








