Ces deux pièces utilitaires n’ont pas encore rendu leur tablier 

Nov 13, 2025 | Brands, Culture, Fashion

Longtemps relégués aux cuisines, aux ateliers ou aux arrière-salles, le tablier et la blouse s’invitent à nouveau sur les podiums. Détournés de leur fonction protectrice, ces vêtements du quotidien s’élèvent au rang de manifeste politique. De Miu Miu à Ashley Williams, la mode rend hommage à celles et ceux qui les ont portés non par coquetterie, mais par nécessité, et leur redonne une place de choix dans une époque où les métiers manuels sont boudés. 

Du foyer au podium : le retour du vêtement utilitaire 

Chez Miu Miu, la collection printemps-été 2026 s’ouvre sur l’actrice Sandra Hüller, silhouette subtilement désaccordée et démarche assurée. Au-dessus des nombreuses couches de vêtements — on devine une chemise, un pull ainsi qu’une veste oversized — un tablier bleu à poches latérales, dernier rempart d’un vestiaire utilitaire, sorte d’écho à celles des marins.

Traditionnellement associé aux métiers de la restauration et de l’artisanat — des cuisiniers aux céramistes, des cordonniers aux serveurs — le tablier se voit ici détourné, presque sanctifié. La maison italienne revisite même le tablier de boucher métallique, symbole de protection et de robustesse en le parant de broderies colorées qui laissent voir la peau en dessous. 

@miumiu

Mais la référence ne s’arrête pas au monde professionnel. Dans le foyer aussi, le tablier et la blouse ont longtemps incarné le quotidien domestique : la blouse fleurie des grands-mères, la soubrette en dentelle noire, ou encore la ménagère en robe d’intérieur. Chez Miu Miu, ces archétypes sont renversés. Le tablier ne protège plus des tâches : il se porte à même la peau, comme une tunique revendicatrice.

@miumiu

Miuccia Prada, fidèle à son goût pour les paradoxes, ne cherche pas à glorifier la femme au foyer — au grand dam de la tendance Mob wife. Au contraire, elle extirpe ces vêtements du cadre domestique, pour les faire fouler le podium. Ce geste, à la fois conceptuel et politique, rend hommage aux femmes qui ont porté ces vêtements par nécessité, tout en affirmant une nouvelle forme d’affirmation féminine. Les tables en Formica colorées qui servent d’assises aux invités parachèvent le parallèle entre un intérieur ouvrier et l’esthétique du défilé.

Les silhouettes épaisses, parfois peu flatteuses, évoquent une lutte ouvrière stylisée, rappelant la sensibilité politique de la créatrice, connue pour son passé militant communiste.

Une tendance qui dépasse Miu Miu 

Le retour du tablier et de la blouse ne s’arrête pas aux frontières de l’esprit de Miuccia Prada. Avant la Fashion week de Paris, d’autres marques ont également remis au goût du jour ces pièces utilitaires. À Londres, chez Ashley Williams, elles prennent des allures pop et girly, associées à d’autres éléments de l’attirail de la femme âgée comme les chaussures orthopédiques. 

Avant cette saison, la mode s’était déjà emparée du tablier : Maison Margiela en proposait une version en cuir nouée à la taille en 1997 ; Vetements, en 2016, l’avait transformé en uniforme ironique aux côtés du célèbre sweat-shirt Titanic ; R13 (Printemps 2018) et Dolce & Gabbana (Automne-Hiver 2020) l’ont à leur tour remanié, confirmant au passage cette fascination pour les pièces utilitaires détournées.

@vetements
@r13
@ashleywilliams

Sur les réseaux sociaux, la tendance reste plus discrète même si elle gagne du terrain. Elle s’incarne notamment dans des profils de créatrices ou d’artisanes qui gardent leur tablier au moment de se photographier — non plus comme protection, mais comme un véritable marqueur d’identification. C’est le cas de la cheffe Alice Moireau ou de Candice Margaux Hauss, fondatrice du Studio Haust, qui détourne l’une de ses nappes en tablier : un geste simple, symboliquement fort qui marque les esprits. 

@alicemoireau by @lunaharst

En les détournant de leur cadre d’origine, les créateurs célèbrent la force tranquille du quotidien, et offrent à la blouse vernie et au tablier sous toutes ses formes une liberté nouvelle : celle de raconter une histoire, de protéger mais aussi de rendre hommage à celles qui l’ont porté avant nous. Ainsi, qu’il soit enfilé par nécessité, par hommage ou par simple attrait esthétique, le tablier n’a décidément pas dit son dernier mot.

Article de Julie Boone.