La Fashion Week de Londres a bien eu lieu 

Juin 18, 2025 | Brands, Fashion

Alors que la Fashion Week de Londres s’efface temporairement, la création britannique, elle, persiste avec force et inventivité. Martine Rose et Charles Jeffrey incarnent une mode affranchie des normes, entre exubérance et satire sociale. Du côté de la Central Saint Martins, la jeune garde dessine un avenir aussi audacieux que politique. La mode à Londres ne suit pas les règles — elle les bouscule.

Martine Rose, hors cadre mais au coeur du changement 

La saison dernière, Martine Rose quittait Londres pour Milan. Cette fois, elle revient, mais hors cadre, fidèle à sa manière de réinventer les règles. Alors que la Fashion Week londonienne était officiellement mise entre parenthèses, la créatrice a décidé de présenter malgré tout. Sur un t-shirt de sa collection, un message qui résonne avec l’événement : « Everything Must Change ». Comme une déclaration d’intention : la mode doit évoluer — la London Fashion Week aussi.

Avant le show, les invité·es traversent un espace transformé en hall communautaire, où se mêlent stands de disques, de vêtements et de magazines. Plus qu’un défilé, Martine Rose propose un rassemblement, où la création est collective. Une piste sérieuse pour repenser le futur de la scène mode britannique, à l’image de la récente Slow Fashion Week marseillaise.

Sur le podium, les silhouettes capturent une masculinité en mutation : micro-shorts et chaussettes de football, cheveux longs frisés façon années 80. Les accessoires détournent le quotidien — sacs en papier kraft partagés par deux mannequins, évoquant tour à tour le client et le livreur ; Nike Shox surgies du passé ; jerseys de foot ornés de volants portés avec des escarpins pointus. Une véritable galerie de personnages, mi-urbains mi-fantasmés.

Martine Rose ne défile pas seulement — elle propose un nouveau système, fondé sur la communauté, et la subversion des codes établis.

Le cacophonie maîtrisée de Charles Jeffrey 

Dans les studios mythiques d’Abbey Road, Charles Jeffrey puise son inspiration dans l’histoire et les archives du lieu. Le créateur y compose une galerie de personnages fantasques et réinventés pour 2026 dans une mise en scène où les frontières entre défilé et performance artistique s’effacent. Ici, pas de show traditionnel : les modèles sont invités à s’exprimer librement, devenant eux-mêmes acteurs de la collection.

Les codes maritimes sont détournés avec l’exubérance propre à Loverboy : chapeaux de marin, cache-œil de pirate, cordages transformés en robes sculpturales. Casquettes de capitaine et rayures. Une chemise se porte à l’envers, ou nouée sur la tête comme un bandana. À l’abordage !

Tartan aux pieds, peintures corporelles, imprimés all-over, crochet délicat, blouse d’infirmier sortie de son contexte, et des nœuds démesurés, posés ici et là comme des ponctuations visuelles. Le tout compose une symphonie visuelle, libre et engagée, à l’image de la démarche « Prepared Piano » : imprévisible mais profondément orchestrée.

La nouvelle-garde mode de la Central Saint Martins 

À Londres, le défilé des étudiant·es en Master de la Central Saint Martins continue d’être un terrain d’expérimentation radicale, révélant une génération de créateur·rices aussi conscient·es que visionnaires. Parmi les projets les plus remarqués cette saison :

Révélé·e notamment grâce à ses collaborations avec Erykah Badu — dont une tenue marquante portée lors des Billboard Awards, un booty suit seconde peau rendant hommage à la Vénus de Willendorf — Myah s’illustre par un travail surprenant du volume et de la matière. Les silhouettes sont métamorphosées par une riche variété de textures, modifiant à la fois l’aspect visuel et le poids des vêtements. Une recherche sculpturale, qui fait dialoguer corps, mémoire et symboles.

Chez Seenseo, le vêtement devient un terrain de jeu absurde. Objets intégrés dans des fentes textiles, collés à l’aide d’adhésifs ou dissimulés dans des poches, comme une réflexion taquine sur le rapport entre fonction et forme. La proposition flirte avec l’esprit playful de Jonathan Anderson (Loewe). L’humour devient ici une recette qui marche. 

Avec une approche plus politique, mariesssschulze revisite le tailleur féminin à travers le prisme du pouvoir. Inspirée par une immersion au sein du Parlement allemand, la créatrice détourne les codes rigides imposés aux femmes en milieu institutionnel. Résultat : des costumes en satin aux couleurs pastel, des poignets volontairement exagérés, un col qui se retourne et se répète à l’infini. Une élégance ironique qui défie l’uniformité et ouvre la voie à une nouvelle lecture de la tenue « professionnelle ».

La London Fashion Week n’était pas censée avoir lieu. Officiellement mise entre parenthèses, elle a pourtant existé — autrement. Hors cadre, hors calendrier, mais portée par une énergie collective, inventive et insoumise. Créateurs confirmés et nouvelles voix ont prouvé que l’absence de cadre pouvait devenir un terrain fertile.

Article de Julie Boone