Le camouflage, arme de réappropriation massive 

Juil 30, 2025 | Culture, Fashion, Lifestyle

Longtemps réservé aux uniformes militaires, l’imprimé camouflage a traversé les époques, des sous-cultures aux podiums de mode. Détourné par les militants pacifistes, sacralisé par le streetwear, il ne cesse d’être réinterprété. Alors que des marques comme BAPE ou Louis Vuitton lui offrent une nouvelle vie en 2025, retour sur un motif paradoxal né pour se fondre mais désormais impossible à ignorer. 

Petite histoire d’un motif chargé 

Le camouflage tel qu’on le connaît aujourd’hui trouve ses origines durant la Première Guerre mondiale. C’est le peintre français Louis Guingot qui conçoit les premiers prototypes pour l’armée française. À l’époque, son but est clair : rendre les soldats invisibles, les fondre dans leur environnement. Une révolution, puisque jusqu’alors, les uniformes militaires étaient conçus pour être voyants — afin de mieux distinguer les camps sur le champ de bataille.

C’est véritablement pendant la Seconde Guerre mondiale que l’imprimé se généralise, ses teintes évoluant en fonction des saisons et des terrains. En hiver, ce sont des nuances claires qui prédominent ; en forêt, des verts et des bruns. D’abord purement utilitaire, ce motif devient bientôt un symbole — celui de l’armée. Dans les années 60, en pleine guerre du Vietnam, le camouflage change de camp. Il est détourné par les militants pacifistes. Ce retournement de sens — de l’uniforme de guerre à l’étendard de paix — initie un glissement culturel qui ne cessera de s’intensifier.

Dans les années 90 et 2000, le camouflage explose dans la pop culture. Sur les podiums — notamment chez Christian Dior par John Galliano (printemps-été 2001) — mais aussi dans les clips musicaux, de I’m a Survivor des Destiny’s Child à l’esthétique Y2K de Paris Hilton, qui le mixe volontiers à du rose Barbie.

L’imprimé camo selon Bape 

Impossible d’évoquer le camouflage sans mentionner A BATHING APE®, la marque japonaise fondée par Nigo en 1993 — aujourd’hui directeur artistique de Kenzo et figure majeure du streetwear. Dès 1996, BAPE introduit son tout premier motif camouflage. Un imprimé immédiatement reconnaissable, devenu l’une de ses signatures visuelles les plus fortes.

Avec son esthétique presque psychédélique, le camouflage BAPE s’impose comme une réinvention du genre : plus graphique que militaire. Il incarne une vision hybride, à mi-chemin entre la culture japonaise, le hip-hop américain et l’imaginaire Y2K.

Dans sa collection automne-hiver 2025 intitulée Connect with People, la marque continue de faire évoluer cette grammaire visuelle. Dans un monde fracturé par les conflits, BAPE revendique le vêtement comme vecteur d’expression et de lien humain. Puisant dans l’énergie des années 2000, la collection fusionne couleurs vives, influences sportswear (snowboard, hockey, football américain) et graffiti.

Il y a un certain paradoxe à bâtir une collection sur le thème de la reconnexion humaine en s’appuyant sur un motif né pour dissimuler, se protéger, voire s’isoler. Ce contraste entre message et esthétique souligne justement la richesse du camouflage : un imprimé chargé de contradictions, traversé d’histoires multiples et constamment réapproprié.

Parmi les pièces phares de la collection : des vestes militaires aux découpes laser 3D en forme de BAPE STA™, des pantalons techniques, et le grand retour du légendaire Shark Full Zip Hoodie, réinterprété en Tree Edge Camo dans une palette de tons terre. À noter également l’introduction du Cloud Camo, nouveau motif réalisé en denim teint et enrichi de broderies Sashiko — une technique artisanale japonaise.

Le camouflage aujourd’hui : une neutralité trompeuse 

Loin de ses racines exclusivement militaires ou streetwear, le camouflage se glisse désormais partout. On l’a vu sur les podiums automne-hiver 2025 de Louis Vuitton, mais aussi chez Blue Marble, où il s’affranchit des codes classiques guerriers. Sur les réseaux sociaux, le camo est l’imprimé phare des it girls qui l’utilisent par touche, sur un sac Diane V. comme la chanteuse Mélissa Bon, sur un tee-shirt comme Paloma Elsesser ou en short cargo comme la styliste Sierra Rena

Ce retour en force s’inscrit aussi dans une tendance plus large : celle du revival des surplus militaires, qui remet au goût du jour tout un pan de ce vestiaire — vestes M65, treillis ou casquettes — avec le camouflage comme chef de file.

Omniprésent, parfois à peine remarqué, l’imprimé camouflage fait aujourd’hui partie du langage visuel de la mode. Il est un outil d’expression parmi d’autres — peut-être même plus politique que jamais.

Article de Julie Boone