Auralee et Ernest W. Baker : deux visions du vestiaire masculin lors du premier jour de la PFW 

Juin 27, 2025 | Brands, Fashion

Lors de cette première journée de Fashion Week parisienne, la mode masculine s’est exprimée à travers deux visions singulières : celle d’Auralee, tout en subtilité japonaise, et celle d’Ernest W. Baker, ancrée dans un imaginaire européen d’antan. Deux approches contrastées pour repenser le vestiaire masculin contemporain.

Auralee : poésie des matières et élégance désinvolte 

Fondée par Ryota Iwai en 2015, la marque japonaise Auralee célèbre cette année son dixième anniversaire avec un retour discret mais marquant à Paris, dans l’écrin de la cour du musée des Archives nationales. À cette occasion, elle présente une collection Printemps/Été 2026 inspirée d’un moment précis : la mi-saison au Japon, quand l’air se réchauffe mais que le vent souffle encore. Ce climat ambivalent se traduit par des silhouettes légères, aériennes, presque flottantes.

Un des éléments clefs : les superpositions. Tee-shirts, chemises, vestes et pulls noués se glissent les uns sur les autres avec naturel. Les tons neutres — beige, marron et gris — dialoguent avec des teintes plus vives comme le rouge et le vert qui évoquent les éclosions du printemps. La coupe, elle, reste volontairement relâchée, évitant tout formalisme. Mais sous cette apparente décontraction, Auralee reste fidèle à son exigence textile. Les matières, précieuses mais jamais tapageuses, racontent un autre rapport au monde : cachemire mongol issu de troupeaux nomades, alpaga du Pérou, laine de Nouvelle-Zélande ou d’Écosse.

En guise de clin d’œil contemporain, la marque dévoile une nouvelle collaboration avec New Balance autour du modèle 204L : une sneaker à l’esthétique sobre, technique et tout terrain, qui prolonge l’esprit de la marque, dans une quête perpétuelle d’une certaine élégance effortless

Ernest W. Baker : mémoire et mise en scène

Créée en 2017 par le duo Inês Amorim et Reid Baker, la marque Ernest W. Baker tire son nom du grand-père de Reid. Une figure tutélaire qui, bien plus qu’un simple hommage, sert de socle identitaire à la marque. Car chez Ernest W. Baker, les références personnelles sont le point de départ d’un univers qui mêle souvenirs bien réels et imaginaires en train de s’écrire.

Cette saison, pas de défilé mais une présentation intimiste d’un lookbook de 29 silhouettes, dont l’entrée en matière donne le ton : deux looks jumeaux en vinyle, jouant autant sur les genres que les reflets. Le vestiaire convoque des inspirations multiples — années 70, silhouettes Chicanos et une certaine idée du glamour à l’européenne. Pantalons bootcut taille haute, souliers plats à boucle, vestes de survêtement détournées et imprimés animaliers et floraux en pagaille.

Ce qui frappe, c’est la maîtrise du crescendo : au fil des looks, les silhouettes gagnent en tension dramatique. Les couleurs s’éteignent, les matières deviennent plus riches, les volumes s’affinent. Jusqu’à l’apparition d’une veste longue, à mi-chemin entre la redingote romantique et le trench dystopique — un final de cinéma noir

Deux visions du vestiaire masculin 

Tout oppose — ou presque — Auralee et Ernest W. Baker. L’une puise dans les variations subtiles du quotidien japonais, l’autre s’enracine dans une esthétique narrative et théâtrale empruntée aux films noirs. Et pourtant, quelque chose circule entre ces deux collections : une même volonté de réinventer le costume masculin, de le faire glisser hors de son traditionnel.

Chez Auralee, la réinvention passe par le toucher, la texture et la superposition. Une douceur presque sensorielle inspire des silhouettes légères, flottantes, où le tailoring s’efface derrière la sensation. Chez Ernest W. Baker, à l’inverse, le costume est un socle narratif. On le travestit, on l’habille de vinyle, de satin ou de motifs animaliers, pour en faire un manifeste visuel. D’un côté, la discrétion assumée ; de l’autre, une théâtralité flamboyante.

Mais les deux marques partagent un goût pour les anachronismes : Auralee fait dialoguer la tradition textile et une certaine désinvolture urbaine, tandis que Ernest W. Baker convoque les années 70, le glamour vintage et les contre-cultures chicanas dans une même silhouette. Deux manières de parler du présent en le regardant de biais. Deux sensibilités qui, ce même jour à Paris, ont affirmé que le vestiaire masculin ne se joue plus sur un seul registre, mais sur toute une gamme de textures, d’identités et de récits.

Article de Julie Boone